Objectifs
- Décrire les traits articulatoires de chaque consonne et de chaque glide français.
- Associer les symboles phonétiques des consonnes et des glides français avec leur articulation.
Quand on parle de l'articulation des consonnes, on parle principalement du lieu d'articulation (là dans la bouche où on l'articule) et de la manière d'articulation (le genre de bruit que l'on fait quand on l'articule). Les glides constituent une classification de son qui s'articule comme une voyelle, mais qui fonctionne dans le système phonologique comme une consonne. Chaque consonne et chaque glide a un symbole phonétique avec lequel il est associé.
Les consonnes
Dans le chapitre précédent, vous avez vu qu'une voyelle est un son continu que nous articulons en faisant passer de l'air généralement sonore par la bouche (et parfois par le nez) sans empêchement. De plus, une syllabe française (que nous étudierons dans le chapitre suivant) comprend nécéssairement une voyelle. Par contre, une consonne est un segment dont l'articulation s'accomplit par un empêchement quelconque du passage d'air ; vis-à-vis de la syllabe française, les consonnes sont généralement des éléments facultatifs mais extrêmement communs.
L'articulation des consonnes
Bien que chaque voyelle s'entend de façon plus ou moins distincte des autres, les voyelles composent un groupe beaucoup plus homogène que celui des consonnes : une consonne peut être continue ou instantanée, sononore ou sourde, forte ou douce, etc. Les voyelles n'ont qu'une source du bruit : les plis vocaux. Par contre, plusieurs sources du bruit sont possibles pour articuler une consonne. Donc, il est toujours question de sources et de filtres, mais le nombre de sources possibles augmente.
Les consonnes se caractérisent par une fermeture ou un resserrement dans la bouche, ce qui empêche—d’une manière ou une autre—l’air de sortir par la bouche. Le mode d’articulation (le degré d'empêchement et la qualité sonore ou non de l'air) et le lieu d'articulation (là dans la bouche où on fait cet empêchement) distinguent chaque consonne des autres.
Le mode d'articulation
Vous venez d'apprendre que le mode d'articulation comprend deux traits articulatoires de chaque consonne : comment l'air est empêché et si les plis vocaux se battent ou non. Voici les diverses manières d'empêcher l'air pour en produire les consonnes françaises (cf. le Tableau 1, ci-dessous) :
- Une consonne occlusive : Le verbe 'occlure' est un mot assez archaïque pour dire 'fermer'. Donc, quand on articule une occlusive, on ferme complètement la bouche (par les lèvres ou d'autres membre de la bouche), on monte brièvement la pression d'air derrière la fermeture et, enfin, on relâche cette pression tout d'un coup pour en créer la qualité de percussion qui caractérise ces consonnes. Les consonnes /g/ et /t/ sont deux exemples d'occlusives.
- Une consonne fricative : Ces consonnes ont une qualité sifflante que l'on réalise en créant un resserrement extrême du passage d’air—sans le bloquer complètment—pour rendre l’air turbulent. Les consonnes /f/ et /z/ sont deux exemples de fricatives.
- Une consonne affriquée : Ces consonnes sont caractérisées par la double-articulation d’une occlusive et une fricative ; c'est-à-dire, le relâchement d'une occlusive n'est pas réussi dans un instant, mais il se fait par ce même reserrement extrême qui s'entend quand on articule une fricative. Par exemple, l’affriquée /ʧ/ à la fin du mot match est une combinaison des consonnes initiales des mots tout /tu/ et chou /ʃu/. Dans la majorité des français, les affriquées ne se trouvent que dans les mots empruntés à d'autres langues (par ex., les mots catch ou jeans de l’anglais) ; mais, elles peuvent s'entendre devant les voyelles antérieures et fermées à l'intérieur de quelques mots français dans certaines variétés de Canada (par ex., tu /ʦy/; du /ʣy/).
- Une consonne trillée (ou roulée) : Un battement rapide d’un membre de la bouche contre un autre caractérise ce genre de consonne. Par exemple, la consonne /r/ est faite par le battement rapide du bout de la langue contre la région alvéo-dentale, et la consonne /ʀ/ est faite par le battement rapide de la luette contre le dos de la langue. On discutera les manières différentes d'articuler un -r- en français à un moment plus tard dans ce chapitre.
- Une consonne approximante : Aussi appelées « les consonnes spirantes » en français, les approximantes sont similaires aux fricatives, mais l’apperture est plus grande, ce qui laisse sortir beaucoup plus d’air. Les approximantes n'empêchent que très peu la sortie d'air, mais la position de la langue et des autres membres articulatoires change la forme de la cavité buccale suffisamment pour transformer la qualité du son qui sort. La consonne approximante la plus commune en français est /l/ (comme dans le mot les /le/), mais les glides sont aussi les approximantes (cf. /w/, /j/ et /ɥ/ dans une autre section ci-dessous).
- Une consonne nasale : Cette catégorie de consonnes se caractérise par la fermeture totale de la bouche—soit par les lèvres (c.-à-d., /m/), soit par la langue contre une région du palais (c.-à-d., /n,ɲ,ŋ/)—et par l’abaissement du voile du palais, ce qui fait sortir l’air du nez. Certains décrivent les consonnes nasales comme occlusives, mais cette appellation est contestable.
Parlons brièvement de la sonorité des consonnes. On peut articuler les occlusives, les fricatives, les affriquées et les trillées avec ou sans l'abattement des plis vocaux. Si on fait entendre la voix, on dit que la consonne est voisée (ou « sonore ») ; si on ne fait pas entendre la voix, on dit que la consonne est non voisée (ou « sourde »). Par exemple, la sonorité est la seule qualité articulatoire qui distingue l'occlusive /p/ de l'occlusive /b/, et la fricative /f/ de la fricative /v/.
TABLEAU 1 : Présentation des consonnes par lieu et mode d'articulation.
| Sonorité | Lieu |
bilabiale | labio- dentale | alvéo- dentale | palato- alvéolaire | palatale | vélaire | uvulaire |
Mode | nasale | voisée | m - ma | - | n - ni | - | ɲ - signe | ŋ - parking | - |
occlusive | voisée | b - beau | - | d - dont | - | - | g - gare | - |
non-voisée | p - pas | - | t - ton | - | - | k - car | - |
fricative | voisée | - | v - vais | z - ose | ʒ - âge | - | - | *χ - ara |
non-voisée | - | f - fais | s - hausse | ʃ - hache | - | - | *ʁ - ère |
affriquée | voisée | - | - | ʣ - dû | ʤ - jeans | - | - | - |
non-voisée | - | - | ʦ - petit | ʧ - tchatte | - | - | - |
trillée | *voisée | - | - | *r - frais | - | - | - | ʀ - riz |
approximante | *voisée | - | - | l - lit | - | - | *ɰ - courrais | - |
Vérifier votre compréhension
Choisissez le mode d'articulation de chacune des consonnes suivantes :
1) /m/
2) /ʃ/
3) /ʀ/
4) /ʣ/
5) /g/
Indiquez la qualité sonore de chacune des consonnes suivantes :
6) /ɲ/
7) /ʦ/
8) /ʒ/
9) /z/
10) /l/
Le lieu d'articulation
Qu'est-ce qui distingue l'articulation de la fricative non voisée /s/ de la fricative non voisée /ʃ/ ? C'est une question de lieu d'articulation : pour la fricative /s/, on crée la restriction d'air en mettant la pointe de la langue contre la région alvéo-dentale du palais ; pour la fricative /ʃ/, on crée la restriction d'aire en mettant la langue contre la région palato-alvéolaire du palais. Ce changement de position de la langue vers le fond de la bouche rend plus bas le son fricatif (c'.-à-d., une réduction de la fréquence en Hz).
Voici les divers lieux ou on peut faire l'articulation qui empêche l'air pour en produire les consonnes françaises (cf. le Tableau 1, ci-dessus) :
- Les lèvres : Une consonne qui s'articule entre les lèvres s'appelle une consonne bilabiale. Par exemple, les consonnes /p/, /b/ et /m/ sont bilabiales.
- Les dents : On ne produit pas de consonne seulement avec les dents, mais plutôt de concert avec les dents et un autre membre articulatoire. Par exemple, les consonnes /f/ et /v/ s'articulent entre les dents supérieures et la lèvre inférieure ; elles sont labio-dentales. Les consonnes /n/, /d/, /t/, /s/, /z/, /ʣ/, /ʦ/ et /l/ s'articulent avec la pointe de la langue contre la frontière entre les dents supérieures et la région alvéolaire du palais ; elles sont donc alvéo-dentales.
- Le palais : Dans un chapitre précédent, on a vu qu'on fait distinction entre plusieurs régions du palais. Pour décrire les consonnes françaises, on parle principalement de trois distinctions palatales :
- La région alvéolaire : La région alvéolaire se trouve directement derière les dents supérieures. Une consonne qui s'articule avec la langue contre la région alvéolaire s'appelle une consonne palato-alvéolaire. Par exemple, les fricatives /ʃ/ et /ʒ/ et les affriquées /ʧ/ et /ʤ/ sont des consonnes palato-alvéolaires.
- Le palais : Et oui, bien qu'on a créé des termes spécifiques pour faire référence à chaque région du palais, il y a quand même une région au milieu du palais qu'on appelle...le palais. La consonne nasale /ɲ/ est la seule consonne palatale en français.
- La région vélaire : Au bord du palais dur se trouve la région vélaire ou s'articulent les consonnes vélaires comme /ŋ/, /k/ et /g/.
- La luette/L'uvule : Quelques sons qui représente le R en français s'articulent entre la luette et la langue. Un mot plus anatomique pour dire la luette est l'uvule, donc ce sont des consonnes uvulaires (par ex., la consonne trillée /ʀ/).
Quand on décrit une voyelle, on parle de quatre attributs : l'ouverture, l'antériorité, la position/forme des lèvres et le passage d'air (nasal ou oral). Quand on décrit une consonne, on parle principalement de trois attributs : le mode d'articulation, le lieu d'articulation et la sonorité. Par exemple, la consonne /m/ est nasale, bilabiale et voisée ; la consonne /f/ est fricative, labio-dentale et non voisée ; la consonne /l/ est approximante, alvéo-dentale et voisée ; etc.
Étudiez les phonèmes du Tableau 1 (ci-dessus) pour apprendre à associer ces trois attributs à chaque consonne, mais attendez un peu avant de mémoriser les phonèmes accompagnés par une petite étoile ; nous en parlerons dans la prochaine section. Si vous avez besoin de réviser les parties de l'appareil articulatoire (par ex., les lèvres, les régions palatales, etc.), consultez la Figure 2 du chapitre qui parle de l'appareil articulatoire.
Vérifier votre compréhension
Indiquez le lieu d'articulation de chacune des consonnes suivantes :
1) /p/
2) /v/
3) /k/
4) /ʣ/
5) /ɲ/
Le R français
L'articulation qu'on fait pour créer un son 'R' est bien variable ; pas seulement parmi différentes variétés de français, mais aussi dans une variété donnée. Cette consonne risque de changer ses lieu et mode d’articulation (y compris sa sonorité) selon les autres segments qui l’entourent et sa position dans la syllabe, le mot, la phrase, etc. Ce sont des allophones.
Dans plusieurs français métropolitains, le 'R' se prononce plus fortement au début d’une syllabe initiale qu’à la fin d’une syllabe (par ex., Robert /ʀobɛʁ/), et il a tendance à se prononcer comme fricative ou approximante entre deux voyelles (par ex., heureux /øχø/ ou /øɰø/). Dans certaines variétés de français, il est plus stable et se prononce comme une consonne trillée ou une consonne battue (‘tapped’ en anglais) dans la région alvéo-dentale. Dans certains créoles de base française (par ex., dans le créole haïtien), ce qui est un 'R' écrit dans un mot français peut être prononcé comme /w/ dans le mot haïtien correspondant.
Toutefois, le phonème /ʀ/ peut représenter le son 'R' dans la majorité des variétés de français. On se servirait des autres symboles (accompagnés par une petite étoile dans le Tableau1, ci-dessus) si on voulait représenter avec plus de précision ce que prononce un locuteur ('a speaker of a language').
Les glides
Dans la section du mode d'articulation (ci-dessus), vous avez lu le terme glides dans la description des approximantes. La consonne /l/ est une approximante parce que l'empêchement faible que crée la position de la langue ne rend pas l'air turbulent ni le bloque ; plutôt, il change la forme de la cavité buccale suffisamment pour donner une qualité particulière au son qui sort.
Il existe une sous-catégorie d'approximantes en français que l'on appelle les glides (oui, on l'a emprunté de l'anglais) et qui comprend principalement trois segments : /j/, /ɥ/ et /w/. On articule ces glides en faisant une transition entre une voyelle et une autre. Par exemple, on articule le /j/ dans le mot vieux (/vjø/) en faisant une transition entre /i/ et /ø/. Cela ne veut pas dire qu'il y a deux voyelles prononcées dans ce mot ; il y a une seule voyelle (i.e., /ø/) et un glide qui fonctionne plutôt comme une consonnes (cf. le /ʀ/ dans le mot vrai /vʀɛ/ ; ou le /w/ et le /v/ dans les mots ouest /wɛst/ et veste /vɛst/).
Voici l'articulation de chaqu'un des trois glides :
- /j/ - Ce glide est articulé en transition entre la voyelle /i/ et un autre son vocalique (par ex. pied /pjɛ/ ).
- /ɥ/ - Ce glide est articulé en transition entre la voyelle /y/ et un autre son vocalique (par ex. nuit /nɥi/ ).
- /w/ - Ce glide est articulé en transition entre la voyelle /u/ et un autre son vocalique (par ex. oui /wi/ ).
Comme l'articulation de ces segments (et des autres approximantes plus généralement) est similaire à celle des voyelles, on entend parfois le nom semi-voyelles ; mais comme leur rôle dans une syllabe est plus consonantique que vocalique (adjectif du nom voyelle), on entend aussi le nom semi-consonnes. Les trois termes (i.e., glide, semi-voyelle et semi-consonne) peuvent faire référence à ces trois segments ; mais, en français, le phonème /l/ n'est qu'une consonne, pas un glide.
Mettre en pratique
Introduction : La majorité des mots du créole haïtien sont d’origine française. Ces mots ont été adaptés aux besoins linguistiques des locuteurs créoles en Haïti. Certains sons sont passés d’une langue à l’autre sans trop de modification, comme on voit dans les exemples suivants (où Fr. > Cr.) :
- danser /dɑ̃se/ > danse /dãse/
- nouilles /nuj/ > nouy /nuj/
- école /ekɔl/ > ekol /ekol/
- aller /ale/ > ale /ale/
Mais le R a subi quelques modifications fascinantes : un R prononcé dans un mot français peut être a) supprimé en créole, b) rendu comme /ɣ/ (fricative vélaire voisée) ou c) rendu comme /w/.
Instructions : D’après les données suivantes, décrivez les conditions sous lesquelles un R en français est devenu un /ɣ/, un /w/ ou rien.1
Français Kreyòl | Français Kreyòl |
rire /ʀiʁ/ ri /ɣi/ | taureau /tɔʀo/ towo /towo/ |
liberté /libɛʁte/ libète /libɛte/ | rhum /ʀɔm/ wonm /wõm/ |
parce que paske /paʁskə/ /paske/ | améliorer amelyore /ameljɔʀe/ /ameljoɣe/ |
roi /ʀwa/ wa /wa/ | route /ʀut/ wout /wut/ |
intéressant enteresan /ɛ̃teʀɛsɑ̃/ /ẽteɣesã/ | frère /fʀɛʁ/ frè /fɣɛ/ |
gris /gʀi/ gri /gɣi/ | groupe /gʀup/ gwoup /gwup/ |
prouver /pʀuve/ pwouve /pwuve/ | trop /tʀo/ twò /twɔ/ |
1Exemples tirés de Turnbull (2006).
Sources
- Turnbull, W. (2006). Creole made easy. Durham, NC: Light Messages.