Objectifs
- Décrire ce qui qualifie un constituant.
- Se servir de quelques tests pour identifier le rôle et/ou la catégorie grammaticale d'un constituant dans une phrase.
Dans le chapitre précédent vous avez appris la différence entre sujet, verbe et compléments. Dans ce chapitre vous allez apprendre que ces grandes unités qui composent une phrase sont elles-mêmes composées des unités plus petites. Vous allez aussi apprendre quelques tests pour décourvir l'identité d'une unité et pour savoir où se trouvent ses frontières.
Les constituants
Vous avez déjà vu qu'une phrase n'est pas seulement une séquence de mots sans relations entre eux : quelques mots se mettent ensemble pour servir de sujet et d'autres pour servir de verbe, de complément, etc. Quand un mot ou un groupe de plusieurs mots a un rôle identifiable dans une phrase, il s'agit d'un constituant (Carnie 2011).
On peut se servir d'un seul nom propre pour remplir le rôle de sujet dans une proposition simple. Par exemple, dans la phrase (1a), ci-dessous, le mot Papi est un constituant qui sert de sujet. Mais un constituant de sujet peut aussi comprendre plusieurs mots, comme on voit dasn (1b), ci-dessous. Même le constituant « Papi et ses collègues » se compose de plusieurs constituants : a) le nom propre Papi, b) la conjonction et, c) le nom commun ses collègues, etc. Est-ce que le mot me dans les deux phrases fait partie de ce constituant de sujet ? Si on ajoutait le mot me au sujet de la phrase (cf. (1c), ci-dessous), le résultat serait-il grammatical ? Clairement non. Mais dans d'autres cas les frontières d'un constituant ne sont pas aussi faciles à identifier.
1) a. Papi me dérange.
b. Papi et ses collègues me dérangent.
c. *Papi et ses collègues me dérangent.
Les tests de constituance
Considérons la phrase suivante : « La vieille planque la cache. » Cette phrase est ambigüe car il y a deux manières de l'interpréter :
2) a. La vieille planque la cache.
'The old woman hides the stash.'
b. La vieille planque la cache.
'The old shelter conceals her.'
Pour arriver au sens exprimé dans (2a), il faut que les mots La et vieille fassent partie d'un constituant (c.-à-d., le sujet) qui est distinct du constituant qui comprend les mots planque, la et cache (c.-à-d., le prédicat, où planque sert de verbe). Pour arriver au sens exprimé dans (2b), il faut que les mots La, vieille et planque fassent partie d'un seul constituant (le sujet) et que les mots la et cache servent de prédicat dans un autre constituant distinct. Les deux phrases peuvent sembler identiques, mais la manière dont on définit et délimite leurs composants change considérablement le sens.
On peut se servir de quelques tests pour démontrer si un mot ou une séquence de mots représente un constituant ou même si un mot fait partie d'une catégorie grammaticale particulière. En voici quelques tests communs :
- La coordination : On prend le mot cible et un autre mot (ou séquence de mots) qu'on a déjà identifié comme constituant ou comme membre d'une catégorie grammaticale, et on coordonne les deux à l'aide d'une conjonction comme et. Si le résultat représente une phrase grammaticale, on peut déduire qu'il s'agit du même constituant ou de la même catégorie grammaticale. Par exemple, si on veut savoir si la cache dans la phrase (2a) sert de COD—et non de prédicat, comme dans (2b)—on peut prendre un autre COD et les cordonner pour voir si cela nous donne une phrase grammaticale avec le même sens, ce qui est illustré en (3a) :
3) a. La vieille planque la cache et la carte.
'The old woman hides the stash and the map.'
b. La vieille planque la cache et la carte.
'The old woman hides the stash and the map.'
Si on veut démontrer que la cache sert de COD et non de prédicat dans la phrase (2a), on peut coordonner la cache avec un autre COD similaire (par ex., la carte), comme on voit dans la phrase (3b) ; le résultat est grammtical et il garde le même sens de la phrase de la cache que l'on voit dans (2a). - La substitution de catégorie : On peut remplacer un mot (ou une séquence de mot) par un autre mot (ou séquence de mots) que nous avons déjà identifié comme constituant particulier ou comme membre d'une catégorie grammaticale donnée. Par exemple, si on veut savoir si la séquence de mots à côté de est une préposition ou non, on peut la sustituer une autre préposition (par ex., devant) à sa place :
4) a. Mon sac est à côté de la chaise.
b. Mon sac est devant la chaise.
- La substitution pronominale : Certains constituants peuvent être remplacés par un pronom et la phrase reste grammaticale. Comparons les phrases de (5), ci-dessous :
5) a. Le groupe qui joue maintenant est très cool.
b. Il est très cool.
c. *Il qui joue maintenant est très cool.
Ce test peut nous indiquer que le sujet du verbe être se compose de la séquence de mots « le groupe qui joue maintenant » et non seulement des deux mots « le groupe. » Quand on substitue le pronom il à toute la séquence, le résultat (5b) est grammatical ; mais quand on essaie de substituer le pronom il seulement aux mots « le groupe », le résultat (5c) n'est pas grammatical. Donc, nous savons que touts les cinq mots « le groupe qui joue maintenant » composent un constituant qui sert de sujet du verbe principal est. - La commutation : Ce test comprend la transformation d’un mot (ou même d'un morphème) pour voir s’il a les mêmes tendances des autres membres de la catégorie grammaticale. Par exemple, si je voulais savoir si le mot trop est un adverbe ou un adjectif, je pourrais commencer à le subir aux manipulations normales pour les adverbes et les adjectifs. On peut rendre la majorité des adjectifs au pluriel (par ex., verts, faciles, etc.), mais peut-on le faire avec trop ? Non : *trops ne marche pas au pluriel ; sans (presque) aucune exception, les adverbes ne prennent pas de morphème dépendant (c.-à-d., ils sont invariables). Donc, on a un peu d'évidence pour la catégorisation de trop comme adverbe et non comme adjectif.
- Un constituant comme réponse : Ce test cherche à identifier un consituant de la phrase en se servant des autres composants pour en faire une question. Par exemple, pour identifier le sujet dans la phrase « Les étudiants intelligents lisent le journal. », on pose la question « Qui lit le journal ? » (la réponse : les étudiants intelligents) ; pour identifier le COD, on pose la question « Qu'est-ce qu'ils lisent ? » (la réponse : le journal) ; etc. Ce test n'est pas approprié pour identifier tout composant, mais il marche généralement bien pour identifier le sujet et certains compléments du verbe.
- Une phrase clivée : Pour identifier le sujet ou un complément d'une phrase, on peut remettre l'un deux au début de la phrase dans la construction « C'est X qui... » pour identifier le sujet, dans la construction « C'est X que... » pour identifier le COD ou dans la construction « C'est [préposition] X que... » pour identifier un COI ou autre complément introduit par une préposition. Pour reprendre l'exemple « Les étudiants intelligents lisent le journal. », on peut identifier le sujet en disant « Ce sont les étudiants intelligents qui lisent le journal. », ou on peut identifier le COD en disant « C'est le journal que les étudiants intelligents lisent. » Si on remet seulement « Les étudiants » (excluant le mot intelligents) comme sujet dans la construction « C'est X qui... », on aura la phrase agrammaticale « *Ce sont les étudiants qui intelligents lisent le journal. » ; donc, on saurait que le mot intelligents fait est membre du constituant qui sert de sujet.
Il faut noter que certains tests ne marchent que pour certains types de constituants et que l'emploi de plusieurs tests est recommandé pour en tirer une conclusion.
La question de ce qui constitue un constituant est important quand on commence à analyser la structure et l'organisation des composants spécifiques, ce qu'on va faire dans les prochains chapitres.
Mettre en pratique
On peut voir le verbe avoir dans une conjugaison composée (par ex., dans le passé composé, le plus-que-parfait, le futur antérieur, etc.) ou comme verbe principal avec ses propres compléments. En vous servant d'au moins deux tests, démontrez que le verbe avoir dans la phrase (1) n'est pas du même genre de verbe qu'en la phrase (2) :
1) Lila a perdu son chien.
2) Lila a deux frères.
Sources
- Carnie, A. (2011). Constituents, MERGE and trees. In Modern Syntax: A Coursebook (pp. 109-228). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/CBO9780511780738.005