Objectifs
- Associer des structures syntaxiques à leur sens
- Identifier une construction partagée par plusieurs phrases de structure similaire.
- Décrire la structure et le sens des constructions
Jusqu'ici, nous nous sommes concentrés sur une structure de base qu'une phrase française peut avoir. C'est le SVO typique, avec le sujet (un syntagme nominal) suivi d'un verbe conjugué qui peut prendre des objets direct ou indirect : [SN Vconj (SN) (SP)]. Toutes les phrases suivantes partagent cette structure :
- Didier arrive.
- On a regardé un film.
- Je téléphonerai au restaurant.
Dans ce chapitre vous apprendrez d'autres structures qu'une phrase (ou une partie d'une phrase) peut avoir et comment identifier des similarités structurales entre des phrases différentes.
Le sens des structures syntaxiques
SVO est une construction, un schéma structural associé à un sens. Les constructions ont des places où on peut insérer certains mots ou syntagmes. Le sens du SVO typique est très simple : c'est que l'entité indiquée par le premier syntagme nominal fait l'action indiquée par le verbe.
Chaque construction a un sens différent. [SN ÊTRE V-é (par SN)] (la construction passive) signifie que l'entité indiquée par le premier syntagme nominal est affectée par l'action indiquée par le verbe. Considérez les exemples suivants de cette construction :
- Édith est troublée par les nouvelles.
- Mon fils a été mordu par un chien.
- La lettre sera envoyée bientôt.
Ces phrases n'ont presque rien en commun sémantiquement; elles parlent de lettres, de chiens, de nouvelles troublantes. Mais elles ont une similarité syntaxique et une similarité sémantique. La similarité syntaxique est qu'elles suivent toutes le schéma [SN ÊTRE V-é (par SN)] : un syntagme nominal, le verbe être, un participe passé, et facultativement un syntagme nominal marqué par la préposition par. La similarité sémantique entre ces phrases est que la relation entre le sujet et le verbe est passive, c'est à dire que le sujet subit l'action. Quand une phrase utilise la structure de la construction passive, elle aura ce sens. La grammaire n'est donc pas une simple liste de règles arbitraires. La grammaire a un sens, tout comme les mots (Goldberg 1995).
Vérifier votre compréhension
Faites correspondre chaque phrase à la construction qui décrit sa structure :
Phrases | Constructions |
Donne ce jouet à ton frère. Si j'avais assez d'argent, j'achèterais celui-là. Elle a été interviewée par un journaliste. Il ne va jamais au cinéma. Cette histoire-là est la plus intéressante. Mon père cuisine moins bien que ma mère. J'ai fait ranger la chambre à mes enfants. | la construction passive [SN ÊTRE V-é (par SN)] la construction négative [SN (ne) V Advnég/Pronég] la construction comparative [SN V plus/aussi/moins (A) que SN] la construction superlative [SN V LE plus/moins (A)] la construction impérative [Vimpé (SN) (SP)] la construction causative [SN FAIRE Vinf SN (à SN)] la construction conditionnelle [si SN SVimp SN SVcond] |
La structure schématique des constructions
Une construction est composée d'une suite de places où peuvent être insérés certains éléments. Parfois, une place dans une construction nécessite un mot en particulier. Par exemple, la construction conditionnelle [si SN SVimp SN SVcond] a toujours le mot si devant la phrase qui indique la condition.
- [si SN SVimp SN SVcond]
- Si Louise était ici, elle danserait avec moi.
D'autres places peuvent accepter un mot parmi un ensemble : la construction superlative [SN V LE plus/moins (A)] a une place pour le mot plus ou moins, et une autre place pour un article défini (le, la, l', ou les).
- [SN V LE plus/moins (A)]
- Paul écrit le plus rapidement. (LE= le ; plus/moins = plus ; A = adverbe rapidement)
- Nadia est la moins stressée. (LE = la ; plus/moins = moins ; A = adjectif stressée)
- Tim travaille le plus. (LE = le ; plus/moins = plus ; A = omis)
Très souvent, les possibilités dans une construction sont plus vastes qu'un petit ensemble de mots. Par exemple, la construction présentative [il y AVOIR SN] accepte n'importe quel syntagme nominal après son verbe :
- [il y AVOIR SN]
- Il y a un chien.
- Il y avait Luc, Christine, et Fatima au dîner hier.
- Il y aura la tartiflette que j'ai faite et la soupe que ma sœur est en train de préparer.
Une place dans une construction peut donc être plus ou moins schématique. Si une place dans une construction contient toujours une forme en particulier (comme le mot si dans la construction conditionnelle), on dit qu'elle est spécifique, ou peu schématique. Mais si les contraintes sur une partie d'une construction sont très libres (comme par exemple, qu'il faut seulement que ce soit un verbe quelconque), on dit qu'elle est très schématique.
Une expression est toujours exemplaire de plusieurs constructions à différents niveaux de schématicité. Par exemple, l'expression une voiture rouge exemplifie la construction [N Adj], un type de syntagme nominal où l'adjectif suit le nom. Mais cette construction partage une similarité avec d'autres constructions où un modificateur suit le mot qu'il modifie, comme [V Adv] (parle lentement) ou [N SP] (la fille d'Emma). À un niveau très schématique, on pourrait regrouper toutes ces constructions ensemble, et ensuite les comparer à celles où le modificateur précède le mot modifié (une grande voiture, bien parler...).
La construction d'un objet direct est souvent très schématique. Beaucoup de verbes acceptent comme objet direct soit un syntagme nominal, soit un infinitif, soit une phrase complétive (Gadet et al. 1984) :
- Je veux un cadeau. (syntagme nominal)
- Je veux recevoir un cadeau. (infinitif)
- Je veux que tu me donnes un cadeau. (phrase complétive)
Les phrases complétives sont un type de phrase subordonnée. Comme toutes les phrases, les phrases subordonnées ont un sujet et un prédicat, mais elles sont incorporées dans une autre phrase. Voici quelques types de phrase subordonnée :
- Une phrase circonstancielle est un adjoint lié à la phrase principale par une conjonction de subordination. Elle ajoute typiquement des informations sur le temps, le lieu, la cause, etc. :
- Je vais au supermarché parce que je veux des pommes de terre.
- Une phrase complétive est un argument qui a la fonction d'objet ou de sujet du verbe de la phrase principale :
- Il faut que j'aille au supermarché.
- Une phrase relative modifie un nom dans la phrase principale. Ce nom remplit une fonction dans la phrase relative, comme celle du sujet ou de l'objet direct :
- Je vais préparer les pommes de terre que j'ai achetées. (pommes de terre est l'objet d'acheter)
- Une phrase participiale exprime une action simultanée, prenant comme son sujet un nom dans la phrase principale :
- Cherchant des pommes de terre, je suis allé au supermarché. (Je est le sujet de cherchant)
Ne confondez pas les phrases subordonnées avec les phrases coordonnées, qui sont comme deux phrases indépendantes liées ensemble par une conjonction de coordination (et, ou, mais...) :
- Je vais au supermarché et j'achète des pommes de terre.
Vérifier votre compréhension
Faites correspondre le constituent souligné dans chaque phrase ci-dessous à sa description :
Exemples | Descriptions |
Je vois une femme portant une mallette. Je préfère rester chez moi. Je rends visite à mon grand-père. Je voudrais deux croissants. J'écoute mais je ne danse pas. Je crois qu'il y en a assez. J'attends ici pendant qu'il pleut. Je prends mon sac qui contient mes livres. | syntagme nominal syntagme prépositionnel infinitif phrase circonstancielle phrase complétive phrase relative phrase participiale phrase coordonnée |
Représenter la structure des constructions
Vous avez déjà appris à représenter la structure d'une phrase par un arbre syntaxique. Une construction est une abstraction sur beaucoup de phrases avec un élément structural partagé. C'est possible de représenter une construction par un arbre en montrant les éléments partagés entre toutes ses réalisations. Dans ce cas, les places schématiques n'auront pas de mot spécifique aux bouts de l'arbre. Par exemple, l'arbre suivant représente la construction interrogative avec est-ce que :

Cet arbre est naturellement très simple. À une phrase générique comportant un sujet et un syntagme verbal est ajouté l'élément interrogatif est-ce que. Cependant, il suffit typiquement de représenter la forme d'une construction de manière linéaire, sans arbre :
[est-ce que SN SV]
Comme la description d'une construction peut varier en termes de schématicité, c'est à vous de décider combien de détails vous voulez incorporer en décrivant une construction ainsi. Il y a quelques conventions à suivre :
- Mettez votre description de la forme d'une construction entre crochets : [comme ceci]
- Indiquez les éléments acceptables dans chaque place, que ce soit un mot en particulier (mis en italiques: si) ou une catégorie de mot ou syntagme (mis en majuscules: V, SN). Mettez un mot en majuscules italiques si c'est un mot spécifique qui peut prendre plusieurs formes (comme un verbe à conjuguer) : [il FALLOIR SN]
- Indiquez des options par une barre oblique : [plus/autant/moins de N]
- Mettez des éléments facultatifs entre parenthèses : [SN ÊTRE V-é (par SN)]
- Au besoin, ajoutez des caractéristiques d'un élément en indice : Advnég (adverbe négatif), Vcond (verbe au conditionnel), Phrel (phrase relative), etc.
Aucune analyse constructionnelle n'est complète sans une description du sens. On peut se servir des abréviations entre crochets pour montrer la forme d'une construction, mais il faut aussi expliquer quel sens l'emploi de la construction apporte à la phrase.
Vérifier votre compréhension
Quelle construction se trouve dans toutes les phrases ci-dessous ? Essayez de trouver un schéma de mots ou de catégories de mots, puis remarquez les similarités de forme et de sens.
- Elle est bête comme ses pieds !
- La servante est jeune et gentille, légère comme un papillon.
- Ma mère me disait toujours : « Tu es laide comme un pou. »
- Ça va être beau comme tout quand ce sera fini.
- Je suis tout seul comme une patate au beau milieu de ma folie.
- Elle est simple, gentille comme tout, elle s'intéresse à plein de choses.
- Le canal est entouré de prairies vertes comme de l'émeraude et bordées d'ombrages.
(Ces phrases ont été trouvées dans le Corpus de Référence du Français Contemporain, Siepmann et al. 2016)
Quatre descriptions de cette construction sont proposées ci-dessous. Choisissez la meilleure description et identifiez des problèmes avec les autres.
A) [SN ÊTRE comme SN] - Cette construction compare deux choses.
B) [Adj comme SN] - Cette construction intensifie le sens de l'adjectif, comme le mot très.
C) [ÊTRE Adj comme Détind N] - Cette construction change le sens d'un adjectif du concret à l'abstrait.
D) [Adj Adv tout] - Cette construction a le même sens que la construction superlative (le plus, le moins).
Mettre en pratique
La construction suivante, assez typique en français, comporte deux noms de suite :
- (A)
- l'assurance maladie
- un taxe carbone
- un espace loisirs
- une soirée cinéma
- une tarte maison
Comparez les exemples (A) avec les exemples (B) suivants. Est-ce que ce sont des exemples de la même construction ou de deux constructions différentes ?
- (B)
- un job salon (nom d'un forum de recrutement à Lille)
- le Bondy blog (nom du blog de la ville de Bondy)
- la grève attitude (terme utilisé parfois dans la presse pour décrire l'attitude des grévistes)
- le jeune voyageur service (service offert par la SNCF pour les jeunes voyageurs non-accompagnés)
- un droite test (une série de questions posées dans un interview télévisé pour décider si un personnage est politiquement de droite)
Si vous dites que (B) représente une construction différente que (A), quelles sont les différences ?
Sources
Gadet, Françoise, Jacqueline Léon & Michel Pêcheux. 1984. Remarques sur la stabilité d’une construction linguistique. La complétive.
LINX 10(1). 23–50.
https://doi.org/10.3406/linx.1984.990.
Goldberg, Adele E. 1995. Constructions: A Construction Grammar Approach to Argument Structure. Chicago: University of Chicago Press.
Siepmann, Dirk, Christoph Bürgel & Diwersy Sascha. 2016. Le Corpus de référence du français contemporain (CRFC), un corpus massif du français largement diversifié par genres.
SHS Web of Conferences 27. 11002.
https://doi.org/10.1051/shsconf/20162711002.