La distribution des voyelles

Objectifs

Il y a certains sons en français qui se ressemblent beaucoup : /e/ et /ɛ/, /ɔ/ et /o/, /y/ et /ʏ/, etc. Mais comment peut-on savoir s'il faut prononcer, par exemple, la séquence écrite '-eu-' comme /ø/ ou /œ/ ? Croyez-le ou non, on peut souvent déterminer la distribution de ces voyelles dans la langue selon quelques principes phonologiques et orthographiques. 

L'alternation de sons

Dans un premier chapitre, nous avons parlé des allomorphes. Dans ce chapitre nous allons parler un peu des allophones : un allophone est un segment qui alterne avec un autre segment dans certains contextes et qui n'est pas distinct du deuxième dans l'inventaire phonémique (c'est-à-dire, qu'il ne peut pas distinguer un mot d'un autre). Par exemple, on disait dans un chapitre précédent que le 'R' français peut se prononcer plus fortement en attaque d’une syllabe initiale qu'en coda dans plusieurs variétés de français métropolitain. On dit généralement qu'il n'y a qu'un seul 'R' dans l'inventaire phonologique, mais qu'il y a des 'R' allophoniques qui se produisent différemment selon le contexte ; peu importe si on prononçait le mot frère comme [fʀɛʁ], [fʀɛʀ] ou [fʁɛʁ], on dirait qu'il s'agit toujours du même mot.

Considérons l'exemple des voyelles représentées par les 'e' soulignés dans deux mots mes et mer. On va voir que ces voyelles sont vues de manières différentes dans des variétés de français différentes. Dans certains français (par ex., le français métropolitain du nord de la France), on dirait qu'il s'agit de deux phonèmes distincts (c.-à-d., /e/ et /ɛ/) ; mais dans d'autres variétés de français (par ex., le français méridional), on dirait qu'il s'agit plutôt d'un seul 'e' phonème (que nous allons représenter par la majuscule /E/) avec deux allophones possibles (c.-à-d., /e/ et /ɛ/) selon le contexte. C'est encore la même situation quant aux voyelles fermées /y,i,u/ et les voyelles pré-fermées/relâchées qui y correspondent en français québécois : /ʏ,ɪ,ʊ/ ; les voyelles fermées alternent avec les voyelles pré-fermées selon le contexte.

Alors, la question se pose : Dans quels contextes fait-on ces alternations ?

Information : Vous allez voir la transcription de sons entre barres obliques (par ex., /e/) et entre crochets (par ex., [e]). En général on se sert des barres obliques pour transcrire les sons qu'on n'a pas encore prononcés (par ex., dans un dictionnaire, sur un tableau d'inventaire phonémique, etc.) et les crochets pour transcrire les sons qu'on a déjà prononcés (par ex., pour transcrire comment quelqu'un a prononcé un certain mot ou une certaine phrase). Donc le mot commun est souvent représenté dans un dictionnaire comme /kɔmœ̃/, mais pour représenter la manière dont il est prononcé par une vraie personne on peut écrire [kɔmœ̃] ou [kɔmɛ̃] selon la prononciation réelle. 

Les voyelles moyennes et la loi de position

Les voyelles moyennes (c.-à-d., les mi-fermées /e,ø,o/ et les mi-ouvertes /ɛ,œ,ɔ/) se ressemblent beaucoup vis-à-vis de l'articulation et la manière dont elles sont représentées à l'écrit ; par exemple, les voyelles /ø/ et /œ/ se distinguent à l'oral par une petite différence en lieu d'articulation, et la séquence de lettres -eu- les représente régulièrement à l'écrit. Donc, comment peut-on savoir quand il faut prononcer l’une et pas l’autre ? Il y a deux indices qui nous aident : la nature ouverte ou fermée de la syllabe et l’orthographe.  

Bien qu’il y ait diverses exceptions dans diverses variétés de français, il y a une tendance forte que nous voyons dans plusieurs français que nous appelons la loi de position qui dit que la majorité de voyelles moyennes qui se trouvent dans une syllabe ouverte sont des voyelles mi-fermées, et la majorités de voyelles moyennes qui se trouvent dans une syllabe fermée sont des voyelles mi-ouvertes ; donc il y a une relation inverse entre la nature ouverte/fermée de la syllabe et la nature ouverte/fermée de la voyelle, comme on voit dans la Figure 1, ci-dessous.

FIGURE 1 : Relation inverse entre la nature de la syllabe et celle de la voyelle.

Diagram indicating the inverse relationship between syllable status and vowel status. An arrow links open syllable to closed vowel, and second arrow links closed syllable to open vowel.

Cette tendance (le mot « loi » est quand même un peu fort) est assez stable pour certains cas : le /E/ dans une syllabe fermée sera (quasiment) toujours /ɛ/ ; le /Ø/ (c.-à-d., /ø/ et /œ/) dans une syllabe ouverte sera presque toujours /ø/ ; et le /O/ (c.-à-d., /o/ et /ɔ/) dans une syllabe ouverte sera presque toujours /o/. C’est dans les autres contextes (c.-à-d., /E/ dans une syllabe ouverte et /Ø/ ou /O/ dans une syllabe fermée) où on voit la majorité des exceptions.

L'orthographe peut nous aider à démêler le nœud d'exceptions. Par exemple, les accents indiquent souvent la voyelle moyenne qui se produit :

Il y a des séquences orthographiques et des mots qui ont eux aussi quelques tendances : 

Vérifier votre compréhension

Regardez la partie soulignée des mots suivants et indiquez le symbole phonétique qu'on devrait produire pour la représenter selon les prescriptions. 

  1. une chaise : /e/ ou /ɛ/ ?
  2. une berceuse : /ø/ ou /œ/ ?
  3. mes bottes :  /o/ ou /ɔ/ ?
  4. il s'appelle : /e/ ou /ɛ/ ?
  5. elles veulent : /ø/ ou /œ/ ?
  6. mais non : /e/ ou /ɛ/ ?
  7. le trône : /o/ ou /ɔ/ ?
  8. dès maintenant : /e/ ou /ɛ/ ?
  9. on va jner : /ø/ ou /œ/ ?
  10. il est jeune : /ø/ ou /œ/ ?

Les voyelles (pré-)fermées

En considérant la nature ouverte/fermée de la syllabe, on peut prédire l'alternance des voyelles pré-fermées/relâchées (/ʏ,ɪ,ʊ/) avec les voyelles fermées /y,i,u/ en français québécois. Faisons comparaison des pairs qu'on voit en (1), ci-dessous : 

      1)   a. nu /ny/             nuque /nʏk/

             b. vie /vi/             vite /vɪt/

             c. doux /du/        doute /dʊt/

Quand la voyelle se trouve dans une syllabe ouverte (la colonne à gauche), elle est plutôt fermée ; quand la voyelle se trouve dans une syllabe fermée (la colonne à droite), elle est plutôt pré-fermée/relâchée. 

Mettre en pratique

Le tableau suivant est tiré du guide de conjugaison pour le verbe répéter dans le dictionnaire le Petit Robert (2023). Vous pouvez voir qu'il y a deux formes écrites possibles au futur simple. Voici l'explication que donne le Petit Robert : « On peut aussi employer l’accent grave au futur et au conditionnel (je cèderai, je cèderais) conformément à la prononciation actuelle (nouvelle orthographe). »

Pouvez-vous expliquer en termes phonétiques/phonologiques pourquoi les deux formes sont possibles ? Pourquoi « la prononciation actuelle » aurait-elle un effet sur l'orthographe ?

jerépéterai, répèterai
turépéteras, répèteras
il, ellerépétera, répètera
nousrépéterons, répèterons
vousrépéterez, répèterez
ils, ellesrépéteront, répèteront

Sources 

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