Objectifs
- Expliquer le rôle important de la catégorisation dans la sémantique
- Décrire les tendances cognitives dans la catégorisation et leurs effets sur le sens des mots
Jusqu'à ce point, nous avons utilisé la théorie des ensembles pour parler de la dénotation des mots. Selon cette théorie, la dénotation du mot arbre est l'ensemble de tous les arbres, la dénotation de petit est l'ensemble de tout ce qui est petit, etc. Dans ce chapitre, vous apprendrez certains problèmes avec cette théorie. Vous apprendrez aussi comment la théorie cognitive de la catégorisation peut nous offrir une explication plus utile de l'organisation du lexique.
Les conditions nécessaires et suffisantes
Regardez les définitions suivantes, qui viennent du dictionnaire Larousse en ligne :
- montagne — Élévation du sol, naturelle et très importante
- laver — Nettoyer avec de l'eau et le plus souvent un produit spécial (savon, lessive, détergent, etc.)
- jeune — Qui est peu avancé en âge
Quelles sont les qualités de ces définitions ? Quelles sortes d'informations est-ce qu'elles nous donnent sur ces mots ?
Les définitions du dictionnaire sont écrites principalement pour fournir les conditions nécessaires et suffisantes d'une catégorie. C'est-à-dire qu'une définition explique toutes les qualités qu'une chose doit avoir pour être désignée par ce mot. Par exemple, pour le mot montagne ci-dessus, la définition indique que c'est une élévation du sol (donc pas une plaine), naturelle (donc pas un tas), qui est très importante (donc pas une colline). Si un objet satisfait à toutes ces conditions, il est inclu dans l'ensemble des montagnes, et donc dans la dénotation du mot montagne.
Les définitions du dictionnaire n'introduisent généralement pas de complexité dans ces catégories. Par exemple, d'après cette définition, nous ne savons pas ce qui serait le meilleur exemple d'une montagne. Nous ne savons pas non plus s'il y a des choses qui sont peut-être des montagnes. Cependant, nous avons de bonnes raisons de croire que ces aspects d'une catégorie font partie de la dénotation des mots.
Vérifier votre compréhension
Sans regarder dans un dictionnaire, écrivez une définition des mots suivants en expliquant les conditions nécessaires et suffisantes des catégories.
Comparez vos définitions à celles que vous trouvez dans un dictionnaire. Avez-vous mentionné toutes les mêmes conditions ?
Les prototypes
Rosch (1978) a fait une série d'expériences pour découvrir comment les gens perçoivent les catégories désignées par des mots. Elle a trouvé les faits suivants :
- Apprentissage — Les enfants apprenent certains membres d'une catégorie avant d'autres. Par exemple, ils pourraient apprendre plus tôt qu'un corbeau est un oiseau et plus tard qu'un manchot est un oiseau.
- Rapidité de jugement — Quand on demande aux gens si quelque chose est un membre d'une catégorie, ils prennent plus ou moins de temps pour répondre. Par exemple, si on demande si une voiture est un véhicule, la personne va probablement répondre oui plus rapidement que si on demandait si un skateboard était un véhicule.
- Ordre d'énumération — Quand on demande aux gens d'énumérer les membres d'une catégorie, ils mettent toujours certaines choses avant d'autres. Par exemple, si on demande à quelqu'un d'écrire une liste des meubles dans sa maison, il va probablement écrire chaise avant planche à repasser.
- Atténuation — Les gens acceptent certains membres d'une catégorie seulement si leur appartenance est atténuée. Par exemple, on accepte qu'un jambon-beurre est un sandwich mais on dit qu'un hot dog est presque un sandwich.
Ces résultats indiquent que dans nos têtes, les catégories désignées par des mots ont des prototypes, des membres centraux, typiques, et saillants. Les prototypes partagent un maximum de traits avec les autres membres de la catégorie (Les oiseaux en général ont des plumes, pondent des œufs, et peuvent voler. Les corbeaux, qui sont plutôt prototypiques, ont tous ces traits, alors que les manchots, moins prototypiques, ne volent pas). Les prototypes partagent un minimum de traits avec des objets hors de la catégorie (Nager est un trait associé aux poissons, pas aux oiseaux. Les corbeaux ne nagent pas, mais les manchots nagent). Les prototypes ont une valeur moyenne pour des traits mesurables (Les corbeaux ont une taille moyenne comparé aux autres oiseaux. Les manchots sont plutôts grands).
Notre concept de la dénotation sémantique qui fait référence aux ensembles n'est donc pas suffisant. Un ensemble a une frontière claire; ce qui fait partie ou non d'un ensemble est bien défini. Aussi, un ensemble n'est pas complexe; un membre d'un ensemble ne peut pas y appartenir plus qu'un autre. Les ensembles ne reflètent pas la réalité des catégories. Au lieu de définir les catégories par des conditions nécessaires et suffisantes, nous devons les définir par des prototypes.
Vérifier votre compréhension
Identifiez un prototype et un exemple atypique du mot ville. Comparez ces deux villes.
- Quelles sont les qualités du prototype, et pourquoi est-ce un prototype ?
- Qu'est-ce que cette comparaison nous dit sur le sens du mot ville ?
La catégorisation
Lakoff (1987) a proposé un nouveau concept des catégories qui regroupe les définitions traditionnelles et les prototypes. Selon sa théorie, les catégories lexiques sont des modèles idéalisés. Un modèle idéalisé est basé sur un prototype et applique ses conditions à une idée très simplifiée du monde.
Par exemple, un modèle idéalisé pour le mot chaussure serait basé sur un prototype comme dans l'image ci-dessous, et imaginerait un monde simple où on s'habille les pieds seulement quand on est à l'extérieur. Avec ce modèle idéalisé en tête, on adopte donc une définition simple de chaussure comme « objet destiné à habiller le pied ».
Figure : Une chaussure prototypique (Photo par Ray Piedra sur Pexels)Ce modèle idéalisé ne prend pas en compte les complexités du monde réel. Par exemple, parfois on s'habille les pieds à l'intérieur (avec des pantoufles). Les pantoufles diffèrent du prototype, mais elles correspondent quand même à la définition « objet destiné à habiller le pied ». On accepterait donc les pantoufles comme des chaussures, mais avec tous les avertissements des membres atypiques d'une catégorie : Les pantoufles sont en quelque sorte des chaussures, les pantoufles seront énumérées plus tard dans une liste des chaussures, etc.
Figure : Des chaussures atypiques (Photo par Lisa Fotios sur Pexels)
Mettre en pratique
Décidez si chacune des phrases suivantes est (complètement, un peu) vraie ou (complètement, un peu) fausse :
Phrase | complètement vraie | un peu vraie | un peu fausse | complètement fausse |
Le Fouquet's est un restaurant. | | | | |
KFC est un restaurant. | | | | |
Starbucks est un restaurant. | | | | |
Auchan est un restaurant. | | | | |
H&M est un restaurant. | | | | |
Maintenant, faites la même chose pour ces phrases avec le marqueur d'atténuation en quelque sorte ajouté. Comment est-ce que cette expression change la vérité des phrases ?
Phrase | complètement vraie | un peu vraie | un peu fausse | complètement fausse |
Le Fouquet's est un restaurant en quelque sorte. | | | | |
KFC est un restaurant en quelque sorte. | | | | |
Starbucks est un restaurant en quelque sorte. | | | | |
Auchan est un restaurant en quelque sorte. | | | | |
H&M est un restaurant en quelque sorte. | | | | |
Les marqueurs d'atténuation sont des expressions comme en quelque sorte, plus ou moins, un peu, ou quasiment. Quel est l'impact sémantique de ces expressions sur les membres prototypiques d'une catégorie (comme le restaurant prototypique) ? Sur les membres non-prototypiques d'une catégorie ? Sur les non-membres d'une catégorie ?
Sources
Lakoff, George. 1987. Women, fire, and dangerous things : what categories reveal about the mind. Chicago: University of Chicago Press.
- Rosch, Eleanor. 1978. Principles of Categorization. In Eleanor Rosch & Barbara B. Lloyd (eds.), Cognition and Categorization, 27–48. Hillsdale, New Jersey: Lawrence Erlbaum Associates. https://doi.org/10.2307/325356.